26.

 

— Veppers est mort ? dit Yime Nsokyi. C’est arrivé comment ?

— Dans cette explosion, ou quand l’aérocar s’est écrasé, répondit Himerance. Les informations restent confuses.

— Et Lededje Y’breq ? Est-elle déjà là-bas ?

— J’en doute. Et j’imagine mal qu’elle ait pu organiser une attaque nucléaire dans le domaine de Veppers. Ce n’est qu’une gamine qui cherche à se venger, pas un agent de CS doté de superpouvoirs. Remarquez, un agent de CS n’irait pas utiliser un procédé aussi inélégant qu’un tir de missile sur un aérocar. Et quand bien même, il ne le raterait certainement pas.

— L’Abominator l’aide peut-être ?

— Je préfère ne pas y penser, soupira Himerance.

Yime fronça les sourcils et regarda autour d’elle.

— Vous n’entendez pas un bruit, une sorte de martèlement ?

— Ce bruit, répondit le drone du vaisseau, est la manifestation de mécontentement du directeur de l’hôtel qui vient de constater que son passe électronique ne lui permet pas d’accéder à sa suite la plus luxueuse, où il semble se passer « quelque chose ».

Himerance avait pris un air soucieux. Le drone se tut.

— Il faut que nous procédions à une petite expérience, déclara enfin l’avatar.

— Cette statue, dit le drone.

Himerance se tourna vers l’objet placé dans un coin de la pièce, qui représentait une nymphe aux formes généreuses brandissant une torche stylisée.

Un ellipsoïde argenté enveloppa soudain la statue. Il disparut une seconde après avec un petit bruit de bouchon qui saute. À la place de la statue, il ne restait qu’une portion de moquette plus claire.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Yime qui commençait à s’inquiéter.

Les deux machines semblèrent hésiter, et le petit drone fit enfin :

— Hmm…

— Le vaisseau vient de tenter un Déplacement vers lui, expliqua Himerance.

— Et la microsingularité n’est pas arrivée à destination, précisa le drone.

— Quoi ? Comment… ?

Himerance prit Yime par le coude.

— Il faut que nous partions d’ici, dit-il en l’entraînant vers la porte de l’appartement.

— Je vais jeter encore un coup d’œil à ce tunnel, déclara le drone.

Il traversa rapidement la pièce et disparut dans le trou laissé par le lit.

— Un vaisseau du RdN est en train de demander au nôtre de quitter le système, dit Himerance. Il s’exprime dans des termes assez vigoureux. Le RdN pense que nous mijotons quelque chose, et semble contrarié. Il intercepte tous les Déplacements. Le drone…

L’avatar émit un bruit qui ressemblait presque à un cri. Il couvrit les oreilles de Yime avec ses mains, si vite qu’il lui fit mal. L’explosion au fond de la pièce les projeta à terre. Himerance réussit à se retourner pour amortir la chute de Yime, mais elle se cogna quand même le nez et se mit à saigner. Elle sentit chaque os de son corps protester sous le choc.

L’avatar l’aida à se relever au milieu d’un nuage de fumée, de poussière et de petits débris qui se répandait dans la pièce.

Yime se mit à tousser.

— … qui se passe, nom d’un chien ? réussit-elle enfin à dire tandis que Himerance l’entraînait rapidement vers le vestibule.

— Le vaisseau du RdN vient de boucher le tunnel.

— Et le drone ? demanda Yime en essuyant le sang qui coulait sur ses lèvres.

— C’est fini pour lui.

— On ne pourrait pas raisonner avec le… ?

— Notre vaisseau raisonne avec celui du RdN aussi vite que peuvent le faire des Mentaux, répondit Himerance. Sans grand succès pour l’instant. Il va très bientôt devoir choisir entre fuir ou combattre. En pratique, nous sommes livrés à nous-mêmes.

L’avatar regarda un instant les doubles portes, qui s’ouvrirent brusquement. Dans le couloir richement décoré se tenaient un petit homme furibond et trois grands gaillards en uniforme paramilitaire. Le nuage de fumée et de poussière se propagea lentement vers eux. Le petit homme le regarda s’approcher avec une expression horrifiée.

L’un des trois gardes pointa une arme au canon épais sur Himerance, qui déclara :

— Je suis profondément navré, mais je n’ai pas le temps…

Et soudain, en un mouvement incroyablement fluide, l’avatar se retrouva au milieu des trois hommes. D’une pichenette, il désarma le premier tout en donnant un coup de coude – presque par accident, sembla-t-il – dans l’estomac d’un autre. Les yeux exorbités et le souffle coupé, l’homme s’écroula comme une masse.

Il avait à peine touché terre que l’avatar avait déjà abattu le premier garde en pointant l’arme sur lui – il y eut un simple déclic suivi d’un bourdonnement – et violemment projeté le troisième contre le mur du fond d’un simple coup du plat de la main.

— Ah, une sorte d’étourdisseur neuronique… fit Himerance en saisissant le directeur à la gorge et en lui appliquant le canon de l’arme contre la tempe. (Le petit homme était à présent ébahi et terrorisé.) Bonjour, monsieur. Auriez-vous l’obligeance de bien vouloir nous aider à nous échapper ?

Le directeur émit un gargouillement étranglé que l’avatar prit manifestement pour un assentiment, car il sourit et relâcha légèrement sa prise.

— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? demanda Yime tandis qu’ils poussaient le directeur devant eux dans le couloir. Comment allons-nous quitter la planète ? (Elle s’interrompit.) Parce qu’on va bien la quitter, la planète, n’est-ce pas ?

— Non, nous serons plus en sécurité ici, du moins pour l’instant.

Himerance s’arrêta devant les ascenseurs et suggéra au directeur d’utiliser son passe pour appeler une cabine prioritaire.

— Vous croyez ? demanda Yime.

La porte de l’ascenseur s’ouvrit. L’avatar prit le passe et l’inséra dans le panneau de contrôle, puis il repoussa le directeur hors de la cabine et l’étourdit avec son arme au moment même où la porte se refermait.

La cabine se mit à descendre vers un sous-sol normalement réservé au personnel. Une petite fumée commença à s’échapper de la grille du panneau.

— À la réflexion, non, dit Himerance. Nous ne serons pas plus en sécurité ici. Le vaisseau va devoir nous Déplacer à la volée.

— « À la volée » ? Ça m’a l’air…

— Dangereux, oui, je sais, mais nous devons considérer que ça l’est moins que de rester ici.

— Mais puisque le vaisseau ne peut pas nous Déplacer maintenant… ?

— Il ne le peut pas parce que, en pratique, lui et nous sommes statiques, ce qui donne le temps au RdN d’intercepter le Déplacement. Mais plus tard, il va passer à très grande vitesse en rasant le puits de gravité à vitesse transluminique, pour tenter d’insérer le Déplacement dans une poignée de picosecondes.

Avec un calme remarquable, l’avatar observait l’écran sur lequel s’affichaient les étages. Son crâne brillait dans la lumière du plafonnier.

— À condition d’atteindre une vitesse suffisante, reprit-il, cela ne devrait pas laisser le temps au RdN d’organiser une interception de la singularité. C’est pour cela que le vaisseau a accepté de partir comme on l’exigeait de lui. Il va s’éloigner à pleine puissance jusqu’aux limites du système, effectuer un demi-tour à rayon minimum et revenir droit vers nous en continuant d’accélérer, pour nous récupérer au passage. Ensuite, nous nous rendrons sur Sichult. La procédure va cependant prendre quelques heures, le temps que le vaisseau atteigne une vitesse suffisante pour faire croire qu’il s’en va, mais aussi pour tromper la vigilance du ou des appareils du RdN quand il nous survolera. En attendant, nous devons rester cachés.

— Vous pensez que ça va marcher ?

— Probablement. Ah…

La cabine s’était arrêtée.

— « Probablement » ? répéta Yime tandis que l’avatar se glissait rapidement dehors.

Elle le suivit, et constata qu’ils se trouvaient dans un parking souterrain. Elle ouvrit la bouche, mais il lui fit signe de se taire tout en s’approchant d’un gros véhicule à six roues qui semblait fait d’un seul bloc de verre noir.

— Celui-ci devrait convenir, dit-il. (Une porte s’ouvrit en chuintant, et ils s’installèrent.) Ah, n’oubliez pas d’attacher votre ceinture, merci. Oui, je disais « probablement » car il est possible que le RdN anticipe la manœuvre du vaisseau et tente d’interférer avec le Déplacement. Il pourrait aussi s’attaquer au vaisseau lui-même, bien sûr, mais ce serait une mesure plutôt extrême.

— Ils viennent juste de détruire le drone et semblent vouloir nous tuer… Ce n’est pas déjà un peu extrême, ça ?

— Si, effectivement, répondit l’avatar en regardant le tableau de bord du véhicule qui finit par s’allumer. Il faut cependant noter qu’en ce qui concerne les drones, les avatars, et même les humains, leur perte n’est évidemment pas dénuée d’une certaine importance politique et morale, mais peut toujours être considérée comme un incident malheureux et regrettable qui se règle par les voies habituelles. En revanche, attaquer un vaisseau constitue un acte de guerre caractérisé.

Un écran apparut, affichant un plan de la ville.

— Merci, dit Yime. C’est toujours très salutaire de se voir rappeler la place véritable qu’on occupe dans l’ordre des choses.

Himerance acquiesça.

— Oui, je sais.

Un peu plus loin, au sommet d’une petite rampe, un grand portail était en train de s’ouvrir, donnant apparemment sur l’extérieur.

— Une bonne partie de ces engins sont automatisés, marmonna l’avatar. C’est bien pratique.

La plupart des autres voitures garées autour d’eux avaient allumé leurs phares, et certaines se dirigeaient déjà vers la rampe.

— On va partir au milieu, je pense, dit Himerance.

Leur véhicule émit un léger bourdonnement et alla s’insérer dans la file qui se formait. Apparemment, aucun des autres n’avait de passagers.

— C’est vous qui faites ça, ou le vaisseau ? demanda Yime alors qu’ils quittaient le garage.

— C’est moi, répondit l’avatar. Le vaisseau est parti il y a quatre-vingt-dix secondes.

Dehors, l’immense tunnel qui abritait la ville était brillamment éclairé, et la voûte était cachée par une légère brume. L’autre bout du tunnel – une barrière de grands immeubles hétéroclites – n’était qu’à un kilomètre, mais semblait plus éloigné du fait de la pénombre. Autour d’eux, les voitures que l’avatar avait mises en route s’égaillaient dans toutes les rues accessibles. Au-dessus, de petits aérocars reliés à des rails évoluaient dans l’immense caverne.

Devant eux, Yime vit ralentir une des grosses voitures vides. Des câbles la saisirent et la hissèrent aussitôt dans les airs.

— Nous allons faire la même chose, dit Himerance juste avant que leur voiture soit soulevée à son tour et emportée dans la direction opposée.

Une fois au milieu des centaines d’aérocars asservis, leur véhicule se stabilisa et maintint son altitude une vingtaine de secondes. Soudain, l’avatar tressaillit. Le verre noir qui les entourait s’écarta au-dessus d’eux et commença à s’enfoncer dans les flancs de leur appareil. Avant qu’il soit descendu à hauteur d’épaule, Himerance avait déjà jeté l’étourdisseur hors de la cabine. Le verre se remit aussitôt en place.

Quelques instants plus tard, il y eut un grand éclair derrière eux, rapidement suivi d’une forte explosion qui fit se balancer l’aérocar. L’appareil ralentit automatiquement pour corriger les oscillations. En se retournant, Himerance et Yime virent un nuage de fumée et de débris qui s’élevait au milieu de la cité-caverne. Un pont avait été brisé, et les morceaux retombaient lentement vers la rivière. Juste au-dessus, d’autres débris incandescents jaillissaient d’un trou minuscule percé dans la voûte. Les échos de la détonation se répercutèrent un instant contre les bâtiments.

L’avatar secoua la tête.

— Je vous prie de m’excuser. J’aurais dû me douter qu’ils arriveraient à repérer cette arme. J’ai fait une bêtise.

Ils s’approchaient d’une grande tour en pierre, et le verre noir se rabattit complètement sur les côtés. Le véhicule, qui klaxonnait rageusement au milieu du mugissement des innombrables sirènes qui s’étaient déclenchées dans la ville, vint terminer sa course en heurtant doucement le sommet de la tour.

— Nous devons sortir d’ici, dit l’avatar en se levant.

Il prit Yime par la main et ils sautèrent sur l’herbe de l’autre côté du parapet. Yime se fit mal aux genoux en se recevant. Le véhicule cessa de klaxonner et s’écarta, emporté par ses câbles, tandis que les vitres se remettaient en place.

Himerance fit sauter les rivets d’une vieille trappe d’accès et l’arracha de terre. Elle donnait sur un escalier en colimaçon plongé dans les ténèbres. Ils avaient déjà descendu deux étages – Yime faisait confiance à Himerance, car même avec sa vue augmentée, elle ne distinguait pratiquement rien –, quand une détonation lointaine fit légèrement trembler la tour.

— C’était notre voiture, c’est ça ? demanda-t-elle.

— Oui. Je ne sais qui coordonne cette affaire, mais ils réfléchissent vite. C’est presque certainement le RdN.

Ils poursuivirent leur descente, tellement vite que Yime en avait le tournis. Elle avait également mal aux genoux, aux chevilles et au dos.

— Dans ces conditions, reprit l’avatar, nous ferions mieux de ne pas nous attarder.

Il accéléra, et Yime l’entendit disparaître dans la courbure de l’escalier.

— Je ne peux pas aller aussi vite ! lui cria-t-elle.

— Non, bien sûr, dit-il en s’arrêtant si brusquement qu’elle se cogna contre lui. Veuillez m’excuser. Grimpez sur mon dos, nous irons plus vite. Mais gardez la tête baissée.

Elle était trop essoufflée pour protester. Elle obéit et lui passa les bras autour du cou, les cuisses serrées autour de sa taille.

— Accrochez-vous bien, dit-il.

Ils reprirent leur descente, à une vitesse telle qu’on aurait presque cru qu’ils étaient en chute libre.

 

Ceux qui avaient assisté aux deux premières incursions déclarèrent avoir vu un rayon rouge cerise détruire d’abord le pont, puis l’aérocar. Chaque fois, le rayon avait émergé de la voûte de la caverne après avoir traversé des dizaines de mètres de roche pour atteindre sa cible.

La troisième et dernière fois que le rayon attaqua la cité-caverne, il frappa une tour de pierre ornementale faisant partie des bâtiments de l’Université centrale. Touché près de sa base, l’édifice entier s’écroula.

On crut tout d’abord qu’il n’y avait pas eu de victimes, jusqu’à ce que, quelques heures plus tard, on découvre sous les centaines de tonnes de gravats deux corps, ceux d’un homme et d’une femme encore enlacés. La femme avait les cuisses serrées autour de la taille de l’homme, et les bras autour de son cou.

 

Il y avait une maison dont la forme était celle de la Galaxie. C’était une maison virtuelle, bien sûr, mais fort bien imaginée, avec un grand luxe de détails. L’échelle à laquelle elle était réalisée pouvait varier selon l’époque et l’endroit où l’on se trouvait, mais l’effet général était convaincant pour les êtres qui l’avaient créée, et de leur point de vue au moins, l’environnement semblait agréablement familier.

Les êtres en question étaient les Mentaux de la Culture. Ces IAs de très haut niveau étaient de loin les entités les plus complexes et les plus intelligentes de leur civilisation, et sans doute parmi les plus complexes et intelligentes de toute la métacivilisation galactique.

La maison servait à indiquer la localisation de chaque Mental dans la véritable Galaxie. Ainsi, un Mental existant dans un Moyeu Orbital proche du centre galactique se trouvait dans la partie centrale de la maison, un immense bulbe aux multiples niveaux, tandis qu’un Mental de vaisseau situé près de l’extrémité d’un des bras de la Galaxie apparaissait dans l’une des ailes extérieures constituées d’une pièce unique. Il y avait des arrangements spéciaux pour les Mentaux qui ne souhaitaient pas que leur position actuelle soit connue du tout-venant. Ceux-là avaient tendance à habiter des annexes situées en dehors de la grande demeure, et communiquaient à distance.

La maison elle-même se présentait comme un immense édifice baroque aux décorations d’une richesse extraordinaire. Chaque pièce était grande comme une cathédrale, remplie de lambris sculptés et d’écrans ajourés, avec des sols étincelants faits de marqueterie incrustée de pierreries, et des plafonds dégoulinants de métaux et de minéraux précieux. Les quelques rares occupants étaient les avatars des Mentaux, sous pratiquement toutes les formes de créatures et d’objets imaginables.

Ces dizaines de milliers de pièces n’étaient pas soumises aux contraintes fastidieuses des lois de la perspective. Chacune était parfaitement visible depuis toutes les autres, grâce aux minuscules icônes/écrans/ouvertures aménagés dans les murs et qui permettaient de distinguer les détails de pièces incroyablement distantes. Les Mentaux n’avaient évidemment aucune difficulté à s’adapter à ce tour de passe-passe topologique, habitués qu’ils étaient à vivre dans un espace à quatre dimensions.

La demeure galactique était soumise à une seule restriction physique : le fait profondément agaçant que même la lumière hyperspatiale ne pouvait se propager à une vitesse infinie. Pour tenir une conversation normale avec un autre Mental, il fallait non seulement se trouver dans la même pièce que lui, mais aussi en être très proche. Un échange entre deux Mentaux situés à chaque bout d’une de ces salles immenses entraînait des délais significatifs.

Au-delà, il fallait s’envoyer des messages. Ceux-ci se manifestaient d’habitude sous forme de symboles flottant devant le destinataire, mais pouvaient représenter absolument n’importe quoi, en fonction de l’imagination prodigieuse des Mentaux en général, et des prédilections fortement excentriques d’un émetteur en particulier. Il n’était pas rare, par exemple, de voir des ballets d’aliens aux multiples membres enflammés projeter des formes qui évoquaient brièvement des caractères en marain.

Vatueil avait vaguement entendu parler de cet endroit, et s’était toujours demandé à quoi il pouvait ressembler. Il regardait autour de lui, absolument sidéré. Comment le décrire ? Quels mots trouverait un poète pour rendre justice à sa richesse et sa complexité ?

En apparence, il était un mâle panhumain vêtu de l’uniforme d’apparat d’un Maréchal de l’Espace. Debout au milieu de la salle immense – l’intérieur d’un vaste coquillage représentant le volume spatial connu sous le nom de Spirale Fragmentaire Doplioïde –, il observait la descente d’un chandelier massif. En examinant plus attentivement le plafond, il en vit beaucoup d’autres similaires. Celui-ci était une profusion fabuleuse de spirales et de torsades de verre multicolores. Arrivé à hauteur de sa tête, le chandelier s’immobilisa.

— Maréchal de l’Espace Vatueil, je vous souhaite la bienvenue, fit une voix dont la tonalité cristalline était en phase avec son aspect. Je m’appelle Zaïve. Je suis un Mental de Moyeu qui s’intéresse particulièrement à la section Quietus. Je vais laisser chacun se présenter.

Vatueil se retourna et vit deux humains, un grand oiseau bleu, et ce qui ressemblait à une marionnette de ventriloque assise sur un petit ballon multicolore. Les uns se tenaient debout, les autres voletaient ou flottaient dans l’air.

— Je suis le Sourire Figé, déclara l’un des humains. (L’avatar avait une peau argentée et l’air vaguement féminin.) Je représente Numina, ajouta-t-elle en inclinant légèrement la tête.

— Splendeur Balafrée, lui dit l’oiseau bleu. CS.

— Bestial Envers Les Animaux, dit l’autre avatar humanoïde – un mâle au visage émacié. Je représente les intérêts de Restauria.

— Labtebricolophile, annonça la marionnette (ou quelque chose d’approchant : elle semblait avoir du mal à prononcer les « l »). Je suis un civil. (Elle s’interrompit un instant avant d’ajouter inutilement :) Excentrique.

— Et là, déclara le chandelier Zaïve tandis que les autres tournaient la tête de côté, nous avons le Prêt Pour Le Bal Costumé.

Le Prêt Pour Le Bal Costumé était un petit nuage orangé flottant au-dessus de l’oiseau bleu.

— Le Prêt Pour Le Bal Costumé est également non aligné, et se trouve à une certaine distance d’ici, précisa Zaïve. Ses contributions seront intermittentes.

— Et probablement hors sujet, ajouta l’oiseau bleu qui représentait le Splendeur Balafrée.

Il releva sa tête au plumage iridescent pour regarder le petit nuage, qui ne sembla pas réagir.

— Ensemble, reprit Zaïve, nous formons le Comité de Réaction Rapide des Agences Spécialisées, ou du moins sa section locale. Un petit nombre de tierces parties intéressées, tout aussi conscientes que nous des questions de sécurité, se trouvent à des distances plus grandes. Elles entendent notre conversation, et pourront éventuellement y contribuer. Avez-vous besoin d’explications concernant nos titres ou notre terminologie ?

— Non, répondit Vatueil, je vous remercie.

— À ce que nous croyons comprendre, vous représentez le plus haut niveau de commandement stratégique du camp anti-Enfers dans la confliction actuelle. C’est bien cela ?

— Oui, confirma Vatueil.

— Eh bien, Maréchal de l’Espace Vatueil, dit l’oiseau en battant des ailes avec indolence, vous avez indiqué que votre affaire était à la fois urgente et de la plus haute importance. Qu’avez-vous donc à nous dire ?

— Il s’agit de la guerre au sujet des Enfers.

— Cela allait de soi, dit l’oiseau.

Vatueil soupira.

— Savez-vous que les anti-Enfers sont en train de perdre ?

— Bien sûr, répondit l’oiseau.

— Et que nous avons tenté de nous infiltrer dans les substrats des pro-Enfers ?

— Nous l’avions deviné, intervint le mâle émacié.

— Ces tentatives ont échoué, et nous avons donc décidé de transporter la guerre dans le Réel, en construisant une flotte de vaisseaux afin de détruire le plus possible de ces substrats.

— Ainsi, commenta sèchement l’oiseau, les dizaines d’années de cette confliction n’auront servi à rien, ce qui la place au même niveau que les engagements que vous avez pris au début de la guerre, garantissant justement que vous n’auriez pas recours aux deux mesures que vous venez de décrire.

— C’est une décision… très lourde que vous avez prise là, maréchal, dit la marionnette en faisant cliqueter ses mâchoires.

— Une étape que nous n’avons pas franchie à la légère, acquiesça Vatueil.

— Une étape que vous n’auriez peut-être pas dû franchir du tout, répliqua l’oiseau bleu.

— Je ne suis pas venu ici pour justifier mes actions et mes décisions, ni celles de mes camarades, dit Vatueil. Je suis ici simplement pour…

— Pour essayer de nous impliquer ? l’interrompit l’oiseau. La moitié de la Galaxie considère déjà que nous soutenons le camp anti-Enfers. En venant ici – où une audience vous a été accordée malgré les plus vives objections de certains d’entre nous –, vous cherchez peut-être à convaincre l’autre moitié ?

Juste au-dessus de la tête de l’oiseau, des gouttes de pluie commençaient à tomber du petit nuage orangé. Aucune ne semblait cependant atteindre l’avatar du Splendeur Balafrée.

— Je suis ici pour vous informer que les forces anti-Enfers ont conclu un accord avec la FCGF et des éléments de l’Habilitement Sichultien – en cachette du RdN et de leurs alliés, les Flekkiens et les Jhlupiens –, par lequel ils acceptent de nous construire une flotte en utilisant le Disque Tsungariel. Nous venons cependant d’apprendre que le RdN pensait avoir également un accord avec les Sichultiens, par lequel ceux-ci promettaient de refuser leur aide au camp anti-Enfers, et s’engageaient à faire ce que le RdN voudrait pour empêcher la construction d’une telle flotte de guerre.

— Les Sichultiens semblent traiter leurs engagements avec la même désinvolture que vos amis conspirateurs et vous-même, commenta l’oiseau.

— Êtes-vous obligé d’être aussi désagréable avec notre invité ? demanda l’avatar argenté au représentant de CS.

Dans un hérissement de plumes, l’oiseau répondit :

— Oui.

— Nous avons aussi entendu dire, poursuivit Vatueil, que le RdN, la Culture et la FCGF sont engagés dans une sorte d’affrontement à l’intérieur de l’Habilitement Sichultien, et plus particulièrement autour du Disque Tsungariel. Si c’est bien le cas, nous avons estimé important de vous informer – au plus haut niveau – que les Sichultiens se sont rangés dans le camp dont chacun pense que vous souhaitez la victoire.

— Bien qu’il vous soit sans doute difficile d’imaginer qu’on puisse tenir sa parole, maréchal, dit l’oiseau bleu, qu’est-ce qui vous fait penser que les Sichultiens vont respecter leur engagement avec vous plutôt que celui conclu avec le RdN ?

— Leur accord avec le RdN consistait essentiellement à ne rien faire. Celui avec nous signifie leur implication dans un complot largement contrôlé par d’autres, et qui se déroule indépendamment de leur contribution opérationnelle initiale, tout en les exposant au risque d’être punis par le RdN même s’ils changeaient d’avis avant le moment crucial. Cela n’aurait aucun sens qu’ils se soient ainsi engagés sans la volonté d’aller jusqu’au bout.

— L’argument paraît raisonnable, dit Zaïve d’une voix de cristal.

— Ainsi, intervint l’avatar émacié, nous ne devrions pas chercher à empêcher les Sichultiens de se livrer à leurs activités, quelles qu’elles soient, au sein du Disque Tsungariel et aux alentours ?

Vatueil haussa les épaules.

— Je ne peux pas vous dire ce que vous avez à faire. Je ne vais même pas vous faire de suggestions. Nous avons juste pensé que vous devriez être informés de ce qui se passe.

— Nous comprenons, dit Zaïve.

— J’ai une information intéressante, déclara l’oiseau bleu.

Vatueil se tourna vers lui.

— Elle dit que vous êtes un traître, Maréchal de l’Espace Vatueil.

Vatueil continua de regarder fixement l’oiseau qui battait paresseusement des ailes. Le nuage orangé au-dessus de l’avatar du Splendeur Balafrée avait cessé de déverser des gouttes. Vatueil se retourna vers Zaïve.

— Je n’ai rien d’autre à vous dire. Si vous me permettez de prendre congé… ?

— Oui, répondit le chandelier. Cependant, le signal qui vous a transporté ici ne précisait pas ce qu’il fallait faire de votre état mental une fois votre message délivré. Nous pensions que vous souhaiteriez être renvoyé à votre poste de commandement de la guerre simulée, mais peut-être avez-vous une autre idée en tête ?

Vatueil sourit.

— Il faut que vous m’effaciez, pour éviter de nouveaux soupçons concernant votre complicité avec les forces anti-Enfers.

— C’est une attention fort délicate de votre part, commenta l’avatar vaguement féminin à la peau argentée.

Vatueil préféra penser qu’elle parlait sincèrement.

— Nous pourrions vous offrir un espace processeur pour vous loger dans une Virtualité, dit Zaïve. Ne préféreriez-vous pas… ?

— Non, merci. Mon original a déjà connu bien assez de virtualités, de téléchargements et de réincorporations. Les personnalités qu’il envoie, telles que moi, sont faites à l’idée d’être effacées. Pour nous, l’essentiel est de savoir que notre original subsiste quelque part. (Le Maréchal de l’Espace sourit, tout en sachant qu’il avait l’air résigné.) Et même si ce n’était pas le cas… cette guerre a été très longue, et je suis très fatigué, dans toutes mes itérations. La mort ne me semble plus aussi terrible, sur aucun plan.

— C’est peut-être aussi bien comme ça, dit l’oiseau bleu.

Mais pour une fois, il semblait un peu moins sarcastique.

— Effectivement. (Vatueil balaya ses interlocuteurs du regard.) Merci de m’avoir écouté. Adieu.

Il hocha la tête vers le chandelier, et disparut aussitôt.

— Eh bien… fit Zaïve.

— Devons-nous prendre tout cela à la lettre ? demanda l’avatar argenté.

— Cela cadre bien avec ce que nous savons déjà, répondit la marionnette. Beaucoup mieux que la plupart des sims.

— Et pouvons-nous faire confiance au Maréchal de l’Espace ? demanda Zaïve.

L’oiseau ricana.

— Ce vieux fantôme décrépit ? Ça fait longtemps qu’on le connaît. Je doute qu’il se souvienne même de ce qu’il a été, et encore moins de ce qu’il a pu croire ou promettre récemment.

— Nous n’avons pas besoin de lui faire confiance pour intégrer ses informations dans nos calculs, dit la femme au teint d’argent.

Le mâle émacié s’adressa au chandelier.

— Il faut que vous disiez à votre agent d’arrêter de perdre son temps, et de se rendre enfin là où elle doit être, et cette fois sans causer la mort d’autres innocents. Il est impératif qu’elle empêche cette Y’breq de tuer Veppers. (Puis se tournant vers l’oiseau, il ajouta :) Naturellement, rien de tout cela ne serait nécessaire si CS voulait bien dire au En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles d’arrêter de se livrer à ses fantaisies bizarres de demoiselle en détresse, de vengeance par procuration ou je ne sais quoi encore.

— Ne me regardez pas comme ça ! s’exclama l’avatar du Splendeur Balafrée en battant des ailes avec indignation. Cette Sentinelle à la gomme n’a rien à voir avec moi. (L’oiseau releva la tête vers le nuage orange.) Vous feriez mieux d’écouter, piailla-t-il. Vous avez les contacts nécessaires. C’est à vous de parler au VSG qui a engendré cette Abomination. Dites-lui de faire entendre raison au bloc de shrapnel qui sert de Mental à cette foutue machine.

 

… bonne nuit, bonne nuit, bonne nuit.

Elle sentit une vague de fraîcheur sur sa peau. Elle aurait bien frissonné, mais elle se sentait trop léthargique, enveloppée dans son cocon, perdue dans une douce chaleur…

Ce qui ressemblait à une vraie voix vint lui frapper les tympans et troubler sa quiétude.

— Hello ? Il y a quelqu’un là-dedans ? Quelqu’un de vivant ?

— Hein ?

Ah, génial… Voilà les hallucinations, maintenant. J’entends des voix…

— Hello !

— Oui ? Quoi ? Hello vous-même.

Elle se rendit compte qu’elle ne transmettait pas. Elle parlait. C’était bizarre. Il lui fallut un moment, mais elle réussit à décoller ses paupières et à ouvrir les yeux. Elle attendit que sa vision se stabilise. De la lumière. Il y avait de la lumière. Faible, mais qui semblait réelle. Sur la visière de son casque, l’écran n’affichait que des parasites, mais elle put voir que ses deux enveloppes de combi s’étaient dilatées autour d’elle. Un courant d’air parcourait sa peau nue et lui donnait la chair de poule. Elle arrivait à respirer ! Elle avala quelques bouffées d’air frais, incroyablement satisfaisantes dans sa bouche et ses narines.

— Auppi Unstril, c’est bien ça ? fit la voix.

— Hmm, oui.

Sa bouche était pâteuse, collante comme l’avaient été ses paupières. Elle se passa la langue sur les lèvres. Elles étaient enflées et très sensibles. Mais c’était formidable de pouvoir simplement les lécher…

— Vous êtes qui ? (Elle s’éclaircit la gorge.) À qui je parle ?

— Je suis un élément du vaisseau culturien de classe Abominator, la Sentinelle En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles.

— Un élément ?

— L’élément cinq.

— Vraiment ? D’où venez-vous ?

Quel Abominator ? songea-t-elle. Personne n’avait parlé d’un Abominator. Est-ce que tout ça était réel ? Elle ne pouvait en être sûre. Il s’agissait peut-être simplement d’un rêve particulièrement détaillé. Elle trouva le bout du tuyau d’alimentation en eau et le suça. L’eau était fraîche, délicieuse. Ce n’est pas un rêve, se dit-elle. L’eau, la fraîcheur sur ma peau, la voix, tout cela est réel. Réel, réel, réel. Elle sentit l’eau descendre dans sa gorge, son œsophage, son estomac…

— Est-ce important de savoir d’où je viens ? fit la voix. Mon tout faisait semblant d’être un Tortionnaire un peu plus tôt, si ça peut vous aider.

— Ah. Seriez-vous en train de me sauver, Élément cinq ?

— Oui. J’ai Déplacé de la nanopoussière pour réparer ce que je peux de votre Module. Il devrait pouvoir se réactiver d’ici quelques minutes. Ensuite, vous pourriez rejoindre par vos propres moyens la base la plus proche, qui se trouve être l’unité orbitale de surveillance numéro cinq. Cependant, à la lumière des récentes actions hostiles, je pense qu’il serait plus sage, et même – quoique cela puisse sembler paradoxal – plus sûr de vous joindre à moi, en vous plaçant dans mon champ de confinement. À vous de décider.

— À ma place, qu’est-ce que vous feriez ?

— Oh, je resterais avec moi, mais évidemment, je ne peux pas dire autre chose, n’est-ce pas ?

— Non, sans doute. (Elle but encore une gorgée de son eau merveilleuse.) D’accord, je reste avec vous.

— Un très bon choix.

— Comment vont les autres ? Vous allez aussi les secourir ? Il y avait vingt-trois autres pilotes de microvaisseaux, et encore une quarantaine de personnes en plus de l’équipage de l’Hylozoïste. Comment vont-ils ?

— L’Hylozoïste a perdu quatre membres d’équipage, et une personne a été tuée quand l’unité de surveillance numéro cinq a été endommagée. Deux des pilotes sont morts, l’un dans une collision avec une fabricaria, et l’autre en brûlant dans l’atmosphère de Razhir. Les autres pilotes ont été sauvés, ou le seront d’ici peu.

— C’était qui ? Les deux pilotes qui sont morts ?

— Logfyr, Inhada est celle qui a été victime d’une collision avec une fabricaria. Lanyares est mort quand son appareil a plongé dans l’atmosphère de la géante gazeuse.

Il était sauvegardé, songea-t-elle. Tout va bien. Il va pouvoir revenir. Ça prendra du temps, et ce ne sera pas exactement la même personne, mais ce sera quand même lui pour l’essentiel. Il m’aimera encore, bien sûr. Ce serait vraiment idiot de sa part de ne pas m’aimer encore…

Elle sentit des larmes couler sur ses joues.

 

— Ah, Bettlescroy. Il paraît que vous me cherchiez.

— Effectivement, Veppers. Vous me semblez en pleine forme pour un mort.

L’image de l’Amiral-Législateur de la FCGF trembla légèrement sur le petit écran plat de l’ordinateur de coms. Le signal était faible et encrypté/brouillé à plusieurs niveaux. Veppers et Jasken étaient installés dans une petite pièce d’un de ses refuges d’urgence dans Ubruater, séparé de sa résidence par un jardin public et quelques rues.

Veppers possédait plusieurs maisons sécurisées de ce genre, préparées de longue date au cas où des politiciens ou des juges honnêtes viendraient un jour au pouvoir et commenceraient à rendre la vie difficile aux entrepreneurs créatifs qui ne se conformaient pas toujours aux pratiques conventionnelles. Celle-ci était reliée par des connexions blindées aux systèmes de sa résidence. Dès qu’il était arrivé avec Jasken – tous deux revêtus d’une tenue d’infirmier –, Veppers avait pris une douche pour se débarrasser de la suie et des cendres radioactives, tandis que Jasken activait l’équipement un peu archaïque pour explorer les canaux d’informations et de communications. Il avait été difficile d’ignorer les nombreux appels et messages urgents provenant de l’Amiral-Législateur Bettlescroy-Bisspe-Blispin III.

— Merci, dit Veppers au petit alien à l’aspect angélique. Vous, vous êtes comme d’habitude. Alors, quelle est notre situation ?

Le petit sourire flottant sur les lèvres du FCGFien était peut-être déformé ou exagéré par l’écran basse résolution.

— Votre situation, Veppers, est que vous devez absolument me dire tout de suite où se trouvent nos cibles. C’est plus qu’urgent, c’est vital. Tout ce que nous avons entrepris jusqu’ici dépend maintenant de cette information.

— Je vois. Très bien, je vais vous le dire.

— C’est un immense soulagement, même s’il a fallu un temps grotesque pour l’obtenir.

— Mais d’abord, comme vous pouvez l’imaginer, j’aimerais bien savoir qui a tenté de me faire sauter dans mon propre aérocar, au-dessus de mon propre domaine.

— C’est presque certainement le RdN, répondit rapidement Bettlescroy avec un petit geste signifiant que la chose valait à peine d’être mentionnée.

— Vous avez manifestement réfléchi à la question, mon cher allié, dit lentement Veppers.

Bettlescroy avait l’air exaspéré.

— Je ne sais pourquoi, le RdN semble considérer que vous l’avez trahi. Bien sûr, il pourrait s’agir des Flekkiens qui auront voulu faire du zèle, comme à leur habitude. Et les Jhlupiens ont peut-être des raisons de vous en vouloir, eux aussi. Votre ami Xingre a disparu, ce qui doit être significatif. Nous ferons tout notre possible, avec les moyens que nous pourrons y consacrer, pour tenter de découvrir le responsable. Mais en attendant, la question la plus importante, et de loin, est celle de la localisation des cibles.

— Je suis d’accord avec vous. Mais avant ça, parlons de votre situation. J’ai un peu perdu le fil. Que se passe-t-il ?

Bettlescroy faisait des efforts manifestes pour garder son calme.

— Je n’ai peut-être pas souligné avec assez de vigueur à quel point l’information sur les cibles est d’une importance vitale et immédiate !

Il avait presque hurlé le dernier mot.

— Je comprends bien, répondit Veppers d’une voix douce. Vous n’allez pas tarder à les connaître. Mais j’ai besoin de savoir ce qui se passe.

— Ce qui se passe, Veppers, siffla Bettlescroy en s’approchant si près de la caméra que son visage déformé semblait presque laid, c’est qu’un foutu hypervaisseau de la Culture, capable de se découper en rondelles pour se transformer en une véritable flotte de guerre, est en train de dévaster la nôtre à l’instant où je vous parle, alors que vous continuez de nous faire perdre notre temps d’une façon incroyable. À chaque minute qui passe, il en détruit des milliers ! D’ici un jour et demi, il n’en restera plus rien ! Et cela bien que j’aie pris moi-même l’initiative d’ordonner que toutes les fabricaria en état de fonctionner produisent des vaisseaux, au lieu du pourcentage sur lequel nous nous étions mis d’accord au départ.

Veppers prit une expression contrariée.

— Vous avez violé nos accords… ? commença-t-il à dire.

— Taisez-vous ! hurla Bettlescroy en frappant de son petit poing sur la tablette devant lui. Le vaisseau de la Culture a déjà trouvé la méthode pour pousser les vaisseaux des fabricaria à s’entre-détruire, ce qui pourrait annihiler la flotte encore plus rapidement, en quelques heures seulement. Si le vaisseau s’abstient pour l’instant, c’est apparemment parce qu’il craint que des fabricaria ne soient accidentellement endommagées par la même occasion. Une perspective qu’il tient à éviter si possible, afin de préserver – je cite – « le monument technoculturel unique que représente le Disque Tsungariel ». C’est vraiment touchant de sa part, vous ne trouvez pas ? Moi, si. (Bettlescroy fixa Veppers un instant sans rien dire, avec un sourire féroce sans aucune trace d’humour.) Toujours est-il que ce machin, ce merveilleux « allié » doté de superpouvoirs que nous nous sommes récemment découvert, nous informe tranquillement qu’il garde cette tactique en réserve, et qu’en attendant, il va continuer de détruire lui-même les vaisseaux au nom de la « précision d’engagement » et de la « minimisation des dommages collatéraux ». En réalité, mes officiers et moi-même le soupçonnons fortement de vouloir continuer comme ça tellement il y prend de plaisir. Comme un peu plus tôt, quand il a détruit près d’un tiers de notre flotte navale en s’approchant du système de Tsung. J’espère que cela vous donne une petite idée, modeste et purement indicative, de l’impuissance dans laquelle nous nous trouvons en ce moment, mon cher Veppers, tandis que nous attendons que vous daigniez nous fournir la localisation de ces putains de cibles.

« Pour l’instant, nous continuons de nous occuper de notre prétendue infestation de parsemis, qui s’est révélée beaucoup plus retorse que nous ne l’avions imaginé. Nous sommes même obligés de détruire certains des vaisseaux que nous avons eu tant de mal à faire construire, juste pour convaincre la Culture que nous sommes de vrais copains et alliés combattant tous du même côté.

« Ah, j’allais oublier… Un vaisseau du RdN est en train de semer la terreur sur, dans et autour de Vebezua ! Oui ! Un autre vaisseau, peut-être de la Culture, peut-être un autre vaisseau de guerre, a été repéré alors qu’il quittait précipitamment le système de Vebezua. Il est possible qu’il y ait déposé quelque chose ou quelqu’un, et qu’il ait maintenant l’intention de venir se joindre à la fête dans le Disque, histoire d’accélérer encore la destruction de notre flotte de vaisseaux autrefois si belle… Et le RdN lui-même émet des bruits soupçonneux, qui frisent l’hostilité, quand il s’agit de nous et de vous-même. La seule raison pour laquelle le RdN ne donne pas un coup de main au vaisseau-flotte de la Culture, c’est qu’il veut voir à quelle vitesse et de quelle façon il procède – un renseignement militaire précieux, à ce que je crois comprendre. Cela étant, la présence et l’hostilité présumée du RdN signifient qu’il pourrait bien détruire ceux de nos vaisseaux qui parviendraient à s’échapper du Disque.

« Voilà donc la situation. Je m’attends à devoir faire face à la honte, l’humiliation, la rétrogradation, la cour martiale et la ruine. Et croyez-moi, mon cher Mr Veppers, si telle doit être ma destinée, je ferai absolument tout ce qui est en mon pouvoir pour vous entraîner dans ma chute, précieux allié et camarade conspirateur.

Bettlescroy reprit son souffle et se redressa dans son fauteuil. Il sembla se calmer.

— Je ne saurais dire combien de nos vaisseaux ont été détruits pendant que je vous parlais, mais cela doit bien s’élever à plusieurs milliers. Alors, je vous en prie, Veppers, si nous voulons pouvoir sauver quelque chose, quoi que ce soit, de ce qui se présente de plus en plus comme une aventure catastrophique et une situation désespérée, dites-nous où se trouvent les cibles. Au moins quelques-unes, les plus proches, étant donné qu’il ne nous restera plus guère qu’une poignée de vaisseaux, lents et mal équipés, le temps que vous vous soyez enfin décidé à nous dire où sont ces… (Bettlescroy s’interrompit un instant)… putains… (une pause)… de… (une dernière pause)… cibles.

Veppers soupira.

— Merci, Bettlescroy. C’est vraiment tout ce que je voulais savoir. (Il sourit.) Un instant, je vous prie…

Il coupa le son et se tourna vers Jasken. Bettlescroy semblait s’égosiller et frappait à coups redoublés sur l’écran. Jasken eut du mal à détourner le regard.

— Oui, monsieur ?

— Jasken, je meurs de faim. Pourrais-tu jeter un coup d’œil dans la cuisine, pour voir ce qu’on a ? Juste un petit en-cas, et un vin correct. Même de l’eau ferait l’affaire… mais regarde quand même s’il n’y a pas du vin buvable. Prends-toi quelque chose aussi. (Veppers sourit en regardant l’écran dont Bettlescroy semblait maintenant vouloir mordre le bord.) Je pense avoir la situation en main, ici.

— Oui, monsieur, fit Jasken en quittant la pièce.

Veppers attendit que la porte soit refermée, puis il rétablit le son.

— … Où ça ? hurlait Bettlescroy.

— Vous êtes prêt ? demanda calmement Veppers.

Bettlescroy regarda fixement l’écran avec des yeux ronds, le souffle court. Sur son menton délicatement modelé coulait ce qui était peut-être un filet de bave.

— Bien, reprit Veppers en souriant. Les cibles les plus importantes – les seules qui en vaillent la peine, désormais – sont proches et faciles à atteindre. Elles se trouvent sous les pistes boisées de mon domaine d’Espersium. En fait, à la réflexion, quelqu’un a déjà commencé le travail – peut-être le RdN, comme vous le suggérez – lors de l’attaque contre mon aérocar.

« Mais peu importe. Je répète : chaque piste boisée repose sur ce que, de prime abord, on pourrait prendre pour une sorte de gigantesque structure de mousse végétale. Il n’en est rien. C’est du substrat. Un substrat biologique à bas niveau d’énergie, pas hyper-rapide mais très efficace et très robuste. La couche varie entre dix et trente mètres d’épaisseur sous les racines et autour, ce qui représente globalement cinq cents millions de mètres cubes de capacité de calcul répartie à travers le domaine. Le flot d’informations qui y circule est canalisé par la batterie de liaisons satellitaires réparties autour de la résidence. Celles dont tout le monde croit encore qu’elles servent simplement à contrôler les Virtualités et les jeux.

« Voilà votre objectif, Bettlescroy. Les substrats sous les forêts contiennent plus de soixante-dix pour cent des Enfers de la Galaxie. (Il sourit encore.) Enfin, de ceux que nous connaissons, en tout cas. Il y en avait un peu plus, mais j’ai récemment sous-traité l’Enfer du RdN, juste par précaution. Cela fait plus d’un siècle que j’achète des Enfers, Amiral-Législateur, et j’ai passé le plus clair de ma vie professionnelle à en gérer tous les aspects informatiques et légaux pour le compte de tiers. La majorité des Enfers se trouve ici, dans ce système, sur cette planète. Voilà pourquoi la question du détail des cibles ne m’a jamais posé de problème. Alors, pensez-vous disposer de suffisamment de vaisseaux pour détruire mon domaine ?

— Vous parlez sérieusement ? demanda Bettlescroy qui semblait avoir du mal à reprendre sa respiration. Les cibles sont sur votre propre domaine ? Pourquoi avez-vous fait une chose pareille ?

— Pour pouvoir tout nier facilement, Bettlescroy. Vous allez devoir raser les forêts, dévaster les terres, faire sauter les liaisons satellites et endommager la résidence elle-même, peut-être même la détruire elle aussi. Cela fait des siècles que cette maison est dans ma famille. Elle est infiniment précieuse à mes yeux, comme le domaine qui l’entoure. Ou c’est du moins ce que tout le monde pense. Qui pourrait croire que j’ai attiré toute cette destruction sur moi-même ?

— Et pourtant, vous… non, attendez. Il faut que je donne mes ordres. (L’Amiral-Législateur se pencha un instant sur son bureau avant de relever la tête.) C’est tout ? Les pistes boisées d’Espersium convergeant vers la résidence ?

— Oui. Allez-y, maintenant.

Il ne fallut que quelques secondes à Bettlescroy pour donner ses instructions. Quand il revint à l’écran, Veppers le soupçonna d’avoir consacré quelques secondes supplémentaires à rectifier sa tenue, s’essuyer le visage et lisser les écailles de son crâne. L’alien avait repris son allure habituelle, élégante et imperturbable.

— Vous êtes donc prêt à vous infliger une chose pareille, Veppers ? À l’héritage de vos ancêtres ?

— Si cela me permet de rester vivant pour profiter de mon butin, bien sûr. Et ce butin promet d’être fabuleux, infiniment supérieur à ce que je vais perdre. La maison peut être reconstruite, les trésors artistiques remplacés, les forêts… non, franchement, je commençais à m’en fatiguer. Mais on pourra toujours les remblayer et les faire repousser, j’imagine. À ce que je crois comprendre, les faisceaux énergétiques laissent très peu de radioactivité, les cinétiques à hypervélocité encore moins, et quant aux ogives nucléaires, elles sont propres, n’est-ce pas ?

— C’est du thermonucléaire, mais aussi propre que possible. Elles sont conçues pour détruire, pas pour contaminer, confirma Bettlescroy.

— Eh bien, voilà. Ce n’est pas comme si j’avais l’habitude d’aller camper dans mon domaine. Même si certaines zones sont un peu radioactives, je ne vais pas pleurer pour ça. Honnêtement, la propriété sert surtout de barrière entre moi et les hordes prolétariennes. Si les collines et les champs se retrouvent à briller dans le noir, la barrière contre les masses grouillantes n’en sera que plus efficace. Et je peux toujours m’en acheter une autre. Une douzaine, même, si ça me chante.

— Et les gens ?

— Quels gens ?

— Les gens qui se trouvent sur le domaine, quand il va être dévasté.

— Ah, oui. Eh bien, j’imagine que je dispose de quelques heures avant le début des attaques ?

— Hmm… fit le petit alien en se penchant sur son écran. Oui. L’attaque la plus rapide viendra d’une petite escadrille de vaisseaux propulsés par de l’antimatière. S’ils se contentent d’un passage sans essayer de s’arrêter d’abord, ils pourront toucher les cibles dans trois heures et demie. Mais la précision de leurs tirs ne sera pas très bonne à cette vitesse. On peut espérer au mieux une tolérance d’une centaine de mètres. Les missiles et les ogives intelligentes seront plus précis, mais on peut s’attendre à ce que les défenses planétaires sichultiennes en interceptent la plus grande partie. Une meilleure précision ne peut venir que de vaisseaux ayant ralenti suffisamment pour pouvoir presque s’arrêter. Encore une fois, vos défenses planétaires en détruiront une grande partie, mais leur nombre sera suffisant pour que cela n’ait pas grande importance. Disons qu’il leur faudra quatre à cinq heures pour arriver. On pourrait donc attaquer les forêts avec la première vague à haute vélocité, et cibler les liaisons satellitaires près de la maison avec la seconde.

— Donc, en résumé, je vais avoir le temps de faire évacuer quelques personnes, conclut Veppers. Pas trop quand même, bien sûr, pour que ça reste crédible. Mais voyez-vous, Bettlescroy, les gens, je peux toujours en embaucher d’autres. Il n’y a jamais de pénurie de ce côté-là, jamais.

— Il n’empêche que c’est un prix important que vous vous imposez.

— Parfois, il faut savoir sacrifier de petites choses afin d’en accomplir de grandes. En hébergeant les Enfers, j’ai gagné énormément d’argent au fil des années, mais il était fatal qu’ils finissent par devenir embarrassants, ou qu’ils soient simplement fermés, avec même le risque de poursuites judiciaires et de demandes de réparation. Tout ce que je possède peut être remplacé, et avec les fonds sur lesquels nous nous sommes mis d’accord, et ce merveilleux vaisseau… que vous n’avez pas oublié, j’espère ?

— Il est à vous, Veppers, répondit l’Amiral-Législateur. Nous continuons de l’équiper selon vos instructions.

— Formidable. Eh bien, avec tout ça, je suis certain de pouvoir me consoler de la perte de quelques arbres et de mon humble chaumière. Ainsi donc, soyons clairs : il ne va rien se passer pendant les trois heures et demie qui viennent, c’est bien ça ?

Le petit alien jeta de nouveau un coup d’œil à son écran.

— Le premier passage à grande vitesse et les envois de missiles contre les pistes boisées auront lieu dans trois virgule quarante et une heures. L’impact des missiles se produira entre une et cinq minutes après le déclenchement des tirs. La seconde vague, chargée du bombardement de précision contre les liaisons satellitaires autour de la résidence, arrivera entre zéro virgule cinq et une heure plus tard. Nous ne pouvons pas être plus précis compte tenu de la variabilité des gauchisseurs hyperspatiaux inhérente aux arrêts brutaux, surtout à une telle profondeur dans des puits de gravité planétaire et stellaire. Vraiment navré, mais j’espère que cela vous laissera le temps pour ce que vous avez à faire.

— Hmm… Il faudra bien que je m’en contente. Allons, Bettlescroy, ne prenez pas cet air horrifié ! Toujours plus haut, toujours plus loin, vous n’êtes pas d’accord avec moi ? On ne peut pas rester sur place. Il faut accueillir le changement à bras ouverts, démolir les vieilles choses pour en construire de nouvelles, plus belles et plus grandes. Spéculer pour accumuler, et tout ça. Je suis certain que vous avez vos propres expressions pour ce genre de choses.

L’Amiral-Législateur secoua doucement la tête.

— Quelle personne remarquable vous faites, Veppers…

— Je sais. Je m’étonne moi-même, quelquefois. (Il se retourna en entendant la porte s’ouvrir.) Ah, Jasken. Bien joué. Tu veux bien envelopper tout ça, comme pour un pique-nique ? Nous repartons en voyage.

La Culture -09- Les Enfers Virtuels
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